Moi, violoniste sur le Titanic de l’amour
Février 2020. Après 10 mois de relation (dont 9 à distance) avec mon petit blond, on emménage ensemble. Deux semaines plus tard, le premier confinement est annoncé. Alors qu’on était habitués à se voir 1 fois toutes les 3 semaines, on va désormais cohabiter sous le même toit 7j/7, 24h/24. Un bouleversement de vie insolite, à mi-chemin entre l’expérience sociale et une télé-réalité Netflix.
Le confinement : un accélérateur de vie couple
Quiconque s’est mis en ménage pendant le confinement confirmera cette impression, celle d’avoir pris 10 ans de vie commune dans la tronche. Si le confinement était une épreuve de Koh Lanta, autant dire que ça serait celle des poteaux. Une épreuve qui met à rude épreuve sa patience, sa confiance en soi, dans l’autre, dans son couple. Une épreuve où chacun se regarde en chiens de faïence, à la fois solidaire et hésitant, tout en se demandant dans son fort intérieur s’il ne va pas craquer, s’il a suffisamment de ressources pour tenir. Vivre l’un sur l’autre dans un appartement de 50m² sans jardin ni terrasse, sans ouverture extérieure, force à voir l’autre comme une contrainte. Comme si on vous forçait à manger votre plat préféré tous les jours, à l’entonnoir. Au début c’est – peut-être – sympa, et puis on se lasse, on y trouve plus goût. Et cette contrainte gustative (et amoureuse donc, vous suivez ?) échauffe les esprits. Je t’aime, mais ton caractère maniaque m’étouffe, je ne supporte plus ta manière de parler un peu beauf, ta tendance à tourner en dérision absolument tout, ton absence de sérieux. Et l’étendoir ? Ça fait 4 jours que les fringues sont sèches, tu vne oudrais pas le ranger pour une fois ? Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que c’est TOUJOURS moi qui cuisine ? Jadis, tu lisais, tu cuisinais. Tu sais, quand je t’ai connu, il n’y a de ça un an à peine. J’ai l’impression que tu m’as arnaquée. D’ailleurs, j’aimerai que tu t’adresses à moi sur un autre ton.

Geule de bois de couple
Le début de la fin ?
On l’aura compris. Le premier confinement a mis à rude épreuve ce dépucelage de la vie à deux, et pour lui, et pour moi. Les conflits se sont enchaînés, les crises de larmes, de doutes, les questions. Plus d’une fois il a fait son sac et j’ai fait le mien, près à tout foutre en l’air. Le confinement nous a transformé en inconnus. Qui est ce nouveau toi ? Qui est ce nouveau moi ? De fait, au bout d’une petite année de relation seulement, on a vécu « la crise de couple », celle que l’on connait normalement aux alentours des 3 ans, par expérience. On a dû retomber amoureux, discuter davantage, communiquer et se mettre d’accord sur ce qu’il faut absolument éviter si on veut que notre couple perdure. La lune de miel propre à la première année s’était évaporée en quelques semaines de confinement. Comment conserver le glamour des premiers temps ? A quoi bon faire des efforts de séduction puisque de toute façon aujourd’hui ressemble à hier et à demain ? Pourquoi s’habiller ? Se maquiller ? Pourquoi se battre pour éviter la routine puisqu’on y est forcé ? Et cette impression d’avoir pris 10 ans de couple par semaine de confinement.

I can relate to you Harold
L’impossibilité de dresser le bilan
Bientôt 1 an qu’on habite ensemble. « Si tu as des doutes, c’est que ce n’est pas le bon, c’est mauvais signe ». All right Susan, mais tu connais beaucoup de couples, toi, qui ont vécu un démarrage de vie commune aussi peu naturel ? Dresser le bilan de cette première année de cohabitation me parait impossible. Parce qu’aucun couple, jamais, n’a connu des conditions de vie aussi factices, aussi contre-nature. Quel jeune couple passe 24h/24 ensemble pendant des semaines dès leur aménagement ensemble ? Comment dire aujourd’hui « oui, j’en suis sûre, le petit blond est l’homme de m vie » quand on a l’impression d’avoir ingurgité son couple comme une dinde de Noël, en une bouchée, alors qu’on aurait aimé le siroter comme du bon champagne, gorgée après gorgée, mois après mois ? Est-ce que mon couple va bien ? Est-ce qu’on est fait pour être ensemble ? J’en sais foutrement rien, et ce début d’année 2021 est encore trop anormal pour se prononcer. Pourtant, tous les deux, on a décidé d’avancer : le 2 janvier on a eu rendez-vous à la banque pour acheter. Tout ça me parait naturel et insensé à la fois, à l’image de 2020.

2020 – 2021
L’hypocrisie de la vie de couple
J’ai beau avoir 31 ans, je suis toujours tiraillée par des questions existentielles qui m’obsèdent. Est-ce que ma relation est saine ? Normale ? Au fond, qu’est-ce qu’un couple sain ? Est-ce que les gens en couple ont une vie sexuelle aussi chiante que la mienne ? Est-ce qu’eux aussi se sentent à la fois heureux et profondément nécrosés par cette routine écrasante ? Est-ce qu’avoir parfois des doutes, des hésitations, est forcément le signe que quelque chose ne va pas ? Bien sûr, il suffirait que je pose ces questions à Google pour recevoir mes réponses robotisées estampillées Psychologie Magazine. Mais ces réponses seraient tellement loin de la vraie vie, des vrais gens, de ce qui se passe réellement un fois les portes verrouillées, l’application Instagram fermée, le smartphone en mode avion. Je me suis toujours considérée comme une personne spirituelle, plutôt rêveuse, irrationnelle, et pourtant j’ai toujours eu en moi ce désir très cartésien et maladif d’avoir une échelle de comparaison de mon couple. Une sorte de verre doseur de la « bonne et juste relation » sur lequel je pourrais m’appuyer pour jauger sa normalité.
A l’heure où le vrai commence enfin à prendre le dessus sur le faux sur les réseaux sociaux , il me semble qu’un vaste silence hypocrite plane encore sur les relations de couple. L’idéal est toujours aussi plombant. Les couples éclatent toujours de rire en choeur en soirée en se passant de temps en temps une main dans le dos. Les gens se marient parce qu’ils sont sûrs de chez sûr, pas l’ombre d’un doute, que cette personne-là est l’homme/la femme de ma vie, bien évidemment. Tu parles. J’aimerais qu’on parle davantage de ce qui se passe en dehors des caméras, dans le couloir, dans la voiture, quand on récupère nos manteaux après « cette excellente soirée, merci ! ». Difficile de verbaliser dans ce monde où tout semble toujours rouler parfaitement ou ne pas rouler du tout. Pas d’entre deux, pas de nuance, ni de contraste. Tout rose ou tout noir. C’est Tinder ou achat de maison. Il y a pourtant trop de secrets d’alcôves, de faux-semblants, de boutons noirs qui attendent d’être percés. Et les influenceuses en couple qui filent des complexes aux autres (ceux qui s’engueulent parfois doucement et parfois très fort), n’aident pas.

Le couple idéal n’existe pas
Plus que jamais j’aimerais que les gens partagent les imperfections de leur couple, leurs doutes, leurs craintes, leurs frayeurs mais aussi leurs joies, bien sûr. Non pas dans une perspective d’un vaste effondrement pessimiste de l’amour en général, mais dans une volonté commune de montrer le « vrai » derrière les paillettes. Peut-être alors que je me sentirais mieux dans ma peau, mieux dans mon couple, et que j’arrêterais de regarder le plafond certaines nuits plutôt que de me lover contre celui que j’aime.
Love,
Une fille Perchée